Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux-Arts du 14 décembre 2019

Dans le cadre de la 28e édition du festival Les Boréales et en partenariat avec la Fondation Hans Hartung & Anna-Eva Bergman, le musée des beaux-arts de Caen expose, jusqu'au 1er mars, une soixantaine de peintures et une vingtaine de dessins inédits relatifs aux voyages entrepris par l’artiste norvégienne au-dessus du cercle polaire arctique en 1950 et 1964.

C'est Adrien qui nous accueille et nous entraîne dans la salle où sont exposés les tableaux et dessins d'Anna Eva Bergman (1909 - 1987).

L'artiste est née en 1909 en Suède. Son père était suédois et sa mère norvégienne.
Alors qu'Anna est encore très jeune, sa mère quitte son père et retourne vivre en Norvège avec la petite.
Par la suite, sa mère, kinésithérapeute, part vivre en Grande-Bretagne, laissant la fillette à ses tantes. Aux 12 ans d'Anna, sa mère revient en Norvège car l'enfant est très malade des poumons et du ventre. Mère et fille voyagent dès lors beaucoup autour de la méditerranée pour faire des cures.

Anna Eva Bergman fait des études d'art pour lesquelles elle se montre assez douée. C'est une femme libre. Très tôt, elle obtient son permis de conduire, et elle se marie en 1929 avec Hans Hartung. Tous deux travaillent ensemble, chacun ayant son propre travail artistique. Très vite Hans Hartung va connaître le succès, Anna restant dans l'ombre.
Lorsque plus tard ils divorcent, Anna rentre au pays. Elle va dès lors avoir un regard engagé notamment sur la montée du nazisme.

En 1950, Anna Eva Bergman entreprend un voyage sous forme de croisière dans la baltique. Chaque escale est consacrée à la visite d'une chapelle et aux prières. Cela l'agace beaucoup. Elle se réfugie souvent sur le pont du navire pour admirer le paysage qui la bouleverse. Le voyage l'emmène jusqu'au nord de la Norvège, à bord du navire le Brand V jusqu'au Cap Nord, puis dans le Finnmark, en camion jusqu’à la frontière finlandaise.
Le bateau remonte vers la Norvège en été, alors que le soleil ne se couche presque jamais. C'est pour elle le symbole du renouveau après la nuit de la guerre.
Comme tous les peintres abstraits des années 1950, Bergman peint de mémoire, à son retour, dans un atelier. Les dernières œuvres de cette inspiration sont d'ailleurs réalisées un an après son retour, Comme le tableau intitulé "Phare" en 1951.
Phare (Conventions) et 1951 Citadelle noire macabre.

C'est ce voyage qui va la convaincre d'abandonner les illustrations et de se remettre à la peinture et aux dessins d'art. Elle va essayer de contracter dans ses dessins tous les paysages qu'elle a pu voir lors de son voyage dans la Baltique.
Ses premiers dessins sont un peu chaotiques car elle découvre dans le Finnmark un paysage envahi d'engins de guerre à l'abandon.

En 1957, elle se remarie avec Hans Hartung. Ensemble, en 1964, ils réalisent un second voyage par l’Express Côtier, jusqu’à la frontière soviétique, au-delà du cap Nord. Une partie du périple se fait dans un petit avion, d’où il est possible de photographier les îles le long du littoral. Ils vont prendre près de mille photos et elle va faire beaucoup de croquis.
C'est à cette occasion qu'elle va s'orienter vers l'abstraction, une expression dépouillée autour des formes simplifiées. Elle associe à des tons sombres l'intégration du métal, or et argent et commence à peindre en grands formats.

Le premier tableau que nous présente Adrien mesure d'ailleurs environ 3 mètres de long et 1,7 de haut.

Ce tableau, que nous découvrons d'abord à travers une représentation tactile, est composé de bandes colorées.
En bas, apparaît une bande de feuille d'or. Au-dessus, elle a appliqué une bande de peinture verte. Puis c'est une bande de peinture rouge qui lui succède, dans laquelle est insérée une bande de feuille d'or. On retrouve donc au-dessus encore une bande de rouge, puis de la feuille d'argent insérée là encore dans le rouge. Si bien qu'en remontant, on trouve encore une bande de peinture rouge. Enfin, tout en haut, C'est de la peinture bleu ciel qui a été appliquée sous forme de grands coups de pinceaux

Dans ce tableau intitulé "Grand Finnmark rouge" (1967), les feuilles d'or et d'argent représentent de la glace en train de fondre. La peinture rouge symbolise la bruyère rouge qui apparaît sous la glace.
Le bleu, c'est le ciel, et le vert en bas, c'est de l'herbe.
Les transitions entre le vert et le rouge se chevauchent un peu. En revanche, Anna Eva Bergman a appliqué la peinture sur les feuilles d'or et d'argent, si bien que les transitions sont assez nettes.
Si on suit la bande de peinture rouge, on trace un S.

Adrien nous présente ensuite un second tableau à l'aide d'un nouveau support tactile. Il s'intitule "Divers horizon du nord".
Anna Eva Bergman n'étant jamais allée dans le Finnmark en hiver, elle l'a imaginé. Comme c'est la nuit perpétuelle, elle montre un ciel tout noir. C'est pourquoi le haut du tableau est entièrement couvert de peinture noire vinyle mate.
En dessous, elle a appliqué de la feuille de cuivre, de la feuille d'or et d'argent. Elle va recouvrir les feuilles d'or, d'argent et de cuivre de peinture qu'elle va ensuite gratter. Elle montre ainsi une croûte terrestre très lumineuse, évoquant la surface lunaire.

'Adrien nous fait toucher la reproduction tactile d'un troisième tableau représentant une barque coupée dans le sens de la largeur. La barque est un symbole fort dans la mythologie nordique. Elle symbolise le passage du Styx. La barque semble glisser sur des eaux invisibles.
C'est une forme très stylisée avec, collés à l'intérieur, des petits carrés de feuilles d'or, d'argent, de cuivre, comme un damier désordonné. Si bien que la barque étincelle, comme un vaisseau spatial.
Tout l'extérieur est noir, sur les côtés gauche et droit et la partie supérieure, formant comme un cadre. La demi barque occupe la majeure partie du tableau.
Pour construire ce tableau, elle a d'abord collé tous les carrés de feuilles d'or et d'argent. C'est ensuite, en peignant le noir autour qu'est apparu la forme de la barque.

Adrien nous présente deux autres tableaux au format portrait, qui mesurent environ 3 mètres de haut par 80 cm de large.
Sur le premier, on a en haut une bande de feuille d’or, puis une bande rugueuse de peinture bleu canard, un peu bleu-vert, et en bas, une bande de feuille d'argent.
Sur le second, une grande partie de peinture noire vinylique couvre le tiers haut du tableau, une fine feuille d’or traverse la toile puis en bas, une grande bande de peinture bleu foncé, bleu outremer.
C'est en fait un diptyque composé du tableau intitulé " Paysage jour" et de celui nommé ("Paysage nuit" (1968).
On est face à une peinture de plus en plus abstraite. Sans les indications du catalogue, il serait difficile d’interpréter la signification de ce diptyque.

Adrien évoque également un autre tableau qui rappelle celui vu plus tôt du Finnmark en hiver. Ici, le haut du tableau est constitué d’une bande de feuille d’or. En dessous, la partie représentant la croûte terrestre ou la surface lunaire, très lumineuse, est plus importante. C’est la représentation du Finnmark en été cette fois.

Notre conférencier nous décrit un tableau assez symbolique de l’œuvre d’Anna-Eva Bergman : une montagne, presque transparente. En fait, elle dilue la peinture vinylique avec de l’eau.
Lors de son premier voyage dans le Finnmark, elle a écrit ceci : « Le plus merveilleux des soleils pendant toute la nuit tandis que nous glissions entre toutes les silhouettes magiques et étranges que sont les Lofoten. Une aventure d’une somptuosité incroyable où les montagnes semblent transparentes. Plus rien n’a d’épaisseur. Tout est comme une vision d’avenir, une possibilité encore pas réalisée. Si l’on veut peindre cela, il faut trouver l’expression qui suggère l’atmosphère, l’effet des couleurs. En aucune façon naturaliste, il faut tout réviser car toute matérialité la gâcherait. »

Ce qui intéresse Anna-Eva Bergman, ce n’est pas de reproduire la réalité des paysages, mais de transmettre l’intention, l’émotion qu’elle a eu en voyant cette montagne. Ici, on a l’impression que la lumière sort des tableaux.

Au fur et à mesure, les peintures d’Anna-Eva Bergman deviennent de plus en plus abstraites, simplifiées à l’extrême, à la fois dans les formes et les couleurs. Dans ses derniers tableaux, on trouve deux ou trois couleurs et avec moins d’effets. A la fin de sa vie, elle utilise du Modeling paste, c’est-à-dire une pâte qui, ajoutée à la peinture, donne un relief à la couleur, un effet de structure à la toile.

Aujourd’hui, les toiles qui n’ont pas été achetées par des particuliers sont exposées à la fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman à Antibes. C’est dans cette ville qu’ils ont vécu la fin de leur vie.

Nous remercions Adrien pour son formidable travail d’adaptation des œuvres dans des textures évoquant les couleurs des tableaux. Ses explications, indispensables pour comprendre le travail de cette artiste singulière, étaient particulièrement claires et pertinentes.

Rédigé par Emmanuelle Gousset, le 6 janvier 2020.

***