les aveugles jugent des couleurs

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Bonjour,
Voici un petit texte de Voltaire qui s'intitule les aveugles jugent des couleurs.
Au XVIIIème siècle, on commence à se soucier de l'éducation des sourds et des aveugles, reconnus intelligents. C'est le siècle du langage des signes de l'Abbé de l'Epée ; de l'écriture en relief de Valentin Haüy. Ce petit conte met en scène des aveugles qui permettent à Voltaire une polémique sur les abus de pouvoir et les intolérances.

La communauté des aveugles, dont il est question, occupait, à Paris, un hospice d'une capacité de 15 fois 20 lits devenu un hôpital spécialisé dans l'ophtalmologie : les 15-20. Dans le commencement de la fondation des 15-20, on sait qu'ils étaient tous égaux et que leurs petites affaires se décidaient à la pluralité des voix. Ils distinguaient parfaitement au touché la monnaie de cuivre de la monnaie d'argent, aucun d'eux ne prit jamais du vin de Brie pour du vin de bourgogne. Leurs odorats étaient plus fins que celui de leurs voisins qui avaient deux yeux. Ils raisonnèrent sur leurs quatre sens, c'est-à-dire qu'ils en connurent tout ce qu'il est permis dans savoir, et ils vécurent paisible et fortunés autant que des 15-20 peuvent l'être.

Malheureusement un de leurs professeurs prétendit avoir des notions claires sur le sens de la vue. Il se fit écouter, il intrigua, il forma des enthousiasmes... enfin on le reconnu pour le chef de la communauté. Il se mit à juger souverainement des couleurs et tout fut perdu. Ce premier dictateur des 15-20 se forma d'abord un petit conseil avec lequel il se rendit le maître de toutes les aumônes. Par ce moyen personne n'osa lui résister, il décida que tous les habits des 15-20 étaient blancs les aveugles le crurent, ils ne parlaient que de leurs beaux habits blancs, quoi qu'il n'y en eu pas un seul de cette couleur. Tout le monde ce moqua d'eux, ils allèrent se plaindre au dictateur qui les reçu fort mal, il les traita de novateurs, d'esprits forts, de rebelles qui se laissaient séduire par les opinions erronées de ceux qui avaient des yeux et qui osaient douter de l'infaillibilité de leur maître. Cette querelle forma deux parties. Le dictateur pour les apaiser rendit un arrêt par lequel tous leurs habits étaient rouges. Il n'y avait pas un habit rouge au 15-20. On se moqua d'eux plus que jamais, nouvelle plainte de la part de la communauté ; le dictateur entra en fureur, les autres aveugles aussi on se battit longtemps et la concorde ne fut rétablie que lorsqu'il fut permis à tous les 15-20 de suspendre leur jugement sur la couleur de leurs habits.

Un sourd en lisant cette petite histoire avoua que les aveugles avaient eu tord de juger des couleurs mais il resta ferme dans l'opinion qu'il n'appartient qu'aux sourds de juger de la musique.

Chronique diffusée sur les ondes de RCF Calvados le mercredi3 novembre 2010
Radio RCF

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