Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux-Arts de Caen du 13 janvier 2018

Le samedi 13 janvier, plusieurs membres de Cécitix ont participé à la deuxième visite descriptive de la saison 2017-2018 organisée par le musée des Beaux-Arts.

Cette visite avait pour objet la découverte de l’exposition consacrée au peintre Lambert SUSTRIS, un artiste de la Renaissance entre Venise et l'Allemagne.

C’est Claude LEBIGRE qui nous a commenté cette visite. Elle a commencé par nous présenter l’artiste. Né dans les années 1510, Lambert SUSTRIS était originaire des Pays-Bas. Il se rendit en Italie dans le courant des années 1530, tout d’abord à Rome, avant de s’établir durant la décennie 1540 à Venise et dans sa région.
Nous avons pu découvrir au cours de cette visite une de ses œuvres, sans doute la plus connue, intitulée « Le baptême du Christ ». Elle est conservée au musée des Beaux-Arts de Caen depuis 1802. Elle est présentée ici avec une quinzaine de toiles que le musée a rassemblées pour cette exposition. Lambert SUSTRIS est un artiste très méconnu, ce qui ne l’empêche pas de jouer un grand rôle dans les échanges artistiques entre le Nord et le Sud de l’Europe au XVIe siècle.

L’influence principale de cet artiste est un peintre hollandais du nom de Jan van SCOREL. Il a gardé du mouvement maniériste la façon d’allonger les corps. Les premiers tableaux de SUSTRIS sont toujours mis en scène dans un paysage à la façon des peintres flamands. Ce sont ces derniers qui ont été les premiers à faire une mise en scène au milieu d’un paysage. Cette pratique s’applique comme une recette: le premier plan est plutôt brun, le second de couleur verte et le troisième plan bleu avec très souvent du rose, ce qui donne un effet de profondeur.

Voici un exemple de cette technique: au premier plan, nous voyons des rochers bruns avec un arbre torturé. Cet arbre est là pour faire un objet repoussoir, c’est-à-dire pour obliger l’œil à regarder dans le lointain. Au second plan se profile une prairie bien verte et tout au loin des montagnes un peu fantasmagoriques, bleutées. Enfin, en profondeur, le ciel très bleu.
Tout cela est animé par des petites figures très allongées. Le tableau est intitulé « Moïse frappant le rocher ». C’est un titre difficile à comprendre tant le personnage de Moïse est tout petit et n’attire pas le regard. De plus, les autres personnages sont de la même dimension que lui.
Cette toile fait un mètre de large et environ 70 centimètres de haut. Nous pouvons deviner grâce à l’essence de son bois qui est du peuplier qu’elle a été réalisée en Italie. Des traces du passage de SUSTRIS à Rome vers 1536 ont été retrouvées. Il y a peint des graffitis avec ses amis. Par la suite, il s’est rendu à Venise où il a changé sa manière de peindre au contact des grands peintres de l’époque. C’est à cette période qu’il a réalisé de grandes fresques comme le décor des villas de Luvigliano.

Claude nous présente ensuite une toile beaucoup plus grande car elle mesure 2 mètres 50 sur 1 mètre 60 de haut. Ce tableau est donc au format paysage avec toujours le même procédé : du brun représentant ici de la terre et des souches, puis au fond un ciel rose et bleu de couleur très pastelle. Nous retrouvons ce ciel rose et bleu dans pratiquement toutes ses œuvres. Dans ce paysage, au lointain est esquissé un village et au premier plan est représentée une multitude de personnages dont une femme sur la gauche juchée en équilibre instable sur une boule de marbre blanc. Cette femme, les yeux bandés, représente la fortune. La ville de Venise de l’époque est cosmopolite et prospère. Elle est également très intellectuelle car elle possède plusieurs maisons d’édition multilingues. Cette œuvre fait référence à la tabula de Cebes : C’est un tableau dans le temple d’Apollon qui a été offert par un philosophe en hommage à ce Dieu qui représente toutes les turpitudes dont les hommes peuvent être victimes. Il est composé de cinq cercles concentriques. Le premier cercle représente la fraude, le deuxième cercle la fortune. Cette dernière distribue de l’argent à tort et à travers et elle en reprend également beaucoup. Elle est représentée sur la droite de la toile par une geôle gardée par une très vieille femme armée d’un martinet qui s’appelle la punition.
Dans la foule, se tient un vieillard qui essaie en vain d’empêcher la ruée vers la fortune. Le troisième cercle représente la vertu mais il est situé tellement haut qu’il est très difficile de l’atteindre. Les personnages de ce tableau sont aussi très allongés. Ils ont de petites têtes et de petites épaules et des membres fuselés.

Dans cette exposition, ce trouve un tableau prêté par la Reine d’Angleterre. On constate que cette œuvre a beaucoup souffert des ravages du temps car le ciel a tendance à paraître de couleur verte. Dans le coin gauche de cette œuvre nous avons de nombreux arbres et également beaucoup de femmes plus ou moins déshabillées. On y retrouve le côté mythologique du corps magnifique. Une femme semble fuir du bain car elle est observée. C’est la représentation du bain de Diane. Un personnage au milieu, placé au premier plan, est représenté moitié homme moitié cerf : c’est la légende d’Actéon. Ce chasseur a vu Diane nue, et cette dernière pour se venger l'a transformé en gibier. Actéon a fini mangé par ses chiens. En arrière-plan nous apercevons une chasse à courre dans un paysage assez doux. Dans le lointain se trouve la meute de chiens qui se précipite vers Actéon, ce qui nous laisse imaginer la suite…

Claude nous commente un autre tableau vénitien, qui a un encadrement très brillant, très travaillé, écrasant les motifs de la toile. La peinture de cette œuvre reprend la nature des paysages déjà décrits. Elle représente la vierge sous un pommier avec un enfant sur ses genoux. Elle a à ses pieds un panier avec un linge blanc qui symbolise le linceul et des pommes qui évoquent Eve, la première femme sur la terre. Dans ce panier, nous avons également des roses représentant l’amour divin pour Eve, ainsi que du raisin un autre symbole religieux. Du côté gauche nous apercevons un petit hameau esquissé et des montagnes. Au milieu de tout cela Joseph avec un âne et un bœuf qui animent un peu ce décor.

Ensuite, nous nous arrêtons devant un petit tableau de 1 mètre 50 sur 1 mètre. C’est un tableau de chevalet qui appartient à Vienne.
C’est une œuvre sur l’antiquité car il est composé de ruines comme le panthéon coupé en deux qui sert d’écrin à un bassin où vont se baigner des femmes. Les figures de ces personnages sont moins allongées que dans ses œuvres passées. Ici, les couleurs sont beaucoup plus claires même si nous retrouvons le rose et le bleu du ciel et des arbres identiques à ses premiers tableaux, avec des troncs qui s’entrecroisent sur la droite de la toile. Nous voyons aussi dans ce décor un obélisque, un temple rond et un port que nous remarquons grâce à de petites embarcations au mouillage.
Au-devant de la toile, deux femmes se regardent dans un miroir, assises à côté d’un petit coffret plein de fioles mystérieuses. Derrière elles nous apercevons une femme tenant un flacon de parfum, deux jeunes femmes tenant du linge propre sur leur tête et un jeune garçon qui porte une aiguière sur un plateau d’or. Nous remarquons également un enfant qui tient un oiseau avec son bras gauche au-dessus de sa tête, et qui caresse un petit chien blanc sur ses genoux. Une autre femme semble parler à l’oreille de son jeune enfant devant une table garnie de vaisselle précieuse et de fruits. Un peu plus loin une femme picore dans une corbeille que lui tend une vieille femme. Ce tableau fait penser à une allégorie des cinq sens : le miroir pour la vue, le flacon pour l’odorat, le toucher avec l’enfant qui caresse le chien, le goût avec la nourriture offerte et l’ouïe grâce au bruit produit par les femmes autour du bain.
Le tableau a été baptisé « le bain de Vénus » à cause de la femme qui prend son bain avec ses suivantes. Mais ce nom lui a été donné récemment.
Les couleurs du tableau sont très belles, les visages sont expressifs, les tissus et les objets attirent le toucher. Ce tableau est très bien conservé.

Le tableau suivant représente Marie-Madeleine, un genou à terre sur un tapis de fleurs blanches. Elle est en avant plan, très belle avec ses cheveux magnifiques lui tombant sur les épaules. Elle porte une grande cape rouge et des manches de dentelle. Elle fait un geste de reconnaissance et d’acceptation, la main sur le cœur. Son autre main repose sur un flacon de parfum à l’antique, ce dernier étant le symbole de Marie-Madeleine. Elle semble manifester beaucoup d’amour et de respect.
Derrière elle, se trouve un jardin à l’italienne, avec des arbres repoussoirs et les couleurs habituelles qu’utilise SUSTRIS. Au fond, nous avons une colonnade avec un fronton à l’antique ainsi qu’une tonnelle. Nous pouvons imaginer ce tableau dans une chambre à coucher car il représente l’amour conjugal grâce à la bague de mariage que porte Marie-Madeleine à sa main gauche.

Le seul tableau signé dans cette exposition est le baptême du Christ. Il avait été donné en paiement d'une dette de jeu contractée par le neveu de Richelieu dans une partie de jeu de paume avec le Roi Louis XIV. Cette toile est signée sur la pierre. S’y trouvent également les armes du commanditaire sous la forme d’un bas-relief étrange. Sur la droite chemine le fleuve Jourdain. Un rocher représente un pélican qui s’est ouvert le ventre pour nourrir ses enfants. C’est une croyance qui vient de l’antiquité et que le moyen-âge a récupérée : on pensait que le pélican, par amour de ses petits, était capable de s’ouvrir le ventre pour les nourrir.
Ce tableau a été peint peu de temps avant la mort de son auteur. Il représente aussi un paysage plus clair que ses premières œuvres. On y retrouve toujours des arbres enlacés au premier plan puis le Jourdain qui serpente, large et majestueux au milieu du paysage avec un village de pêcheurs à peine esquissé. Au milieu du tableau, une diagonale où nous voyons Dieu le père qui écarte les nuages et pointe du doigt le Christ. Le Père, le fils et le Saint esprit. Ce dernier est placé au-dessus de la tête du Christ. Un peu au-dessus Saint-Jean-Baptiste vêtu d’une peau de bête avec sa petite auréole derrière la tête. Il est en train de baptiser le Christ avec une coquille Saint-Jacques. Le groupe est complété par des anges qui participent à l’action. D’autres personnages sont également sur ce tableau tel qu’un jeune homme et deux femmes un peu déshabillées comme dans le bain de Vénus et une femme nue dans le Jourdain qui pourrait représenter la vérité nue ou l’ancien testament avec le bain de Suzanne.
De l’autre côté se tient un vieillard, son juge mal intentionné.

De nombreux tableaux de Lambert SUSTRIS sont très endommagés, en raison de mauvaises conditions de conservation. Cependant, Claude a su nous en faire une description très claire et évocatrice. Un grand merci à notre conférencière pour cette nouvelle découverte. Rendez-vous pour la prochaine le 14 avril.

Rédigé par Nicolas Fortin, le 23 février 2018.

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