Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux-Arts du 18 novembre 2017

Cette visite, organisée à l’intention du public déficient visuel, avait pour objet l’exposition « L'Etre monde : Mémoires du corps ».

Ce même jour avaient lieu au musée deux vernissages, l’un de l’exposition Lambert Sustris, et l’autre de l’installation de la Finlandaise Kaarina Kaikkone dans le cadre du festival des Boréales.
Avant d’entamer la visite descriptive Claude Lebigre, notre conférencière, nous a fait découvrir cette installation étonnante. Kaarina Kaikkone a collecté des chemises auprès des habitants qu’elle a suspendues en passant un fil dans les manches. Elle a ainsi créé un labyrinthe de chemises étendues dans le hall du musée.

Claude nous a ensuite entraînés dans une première salle de l’exposition. Un premier tableau représentait 2 nus semblant surgir de la matière par la lumière, évoquant Adam et Eve sortant de la glaise.
Un deuxième tableau était en gris: "la femme de sable" de Raoul Ubac. Il évoque la déesse mère.
Enfin Claude nous a présenté une troisième peinture, de Philippe Cognée. Il a utilisé une planche de bois qu'il a mal traitée, poncée, percée. Il y a appliqué une préparation blanche. Et par-dessus, il a dessiné au fusain des centaines de têtes, comme une référence au primitivisme.
Cette première partie de l'exposition rappelle le corps primitif, la peinture rupestre.

Nous avons poursuivi notre découverte par une salle consacrée à la photographie.
Au début de la photographie, au 19e siècle, les artistes étaient dans la recherche du spiritisme, représentants des ectoplasmes obtenus par des jeux de captation de la lumière.

Claude nous a tout d’abord présenté un autoportrait. La seule partie du corps bien nette, c'est le pied. Tout le reste du corps est flou: l'artiste a dû faire un mouvement qui a créé cette distorsion du corps.
Le visage semble presque se confondre avec le fond de la photo qui est un papier peint déchiré. Les touches de papier peint forment des taches.
Cet autoportrait a été réalisé grâce au procédé même de la photographie: le temps de pause, l'impression sur la pellicule, le mouvement pendant ce laps de temps qui crée la distorsion.

La seconde photo est plus grande que nature. Elle a été obtenue avec le même procédé. Elle s’intitule "vénus à la lampe de poche" d’Alain Fleischer. On a l'impression d'une vénus cubiste ou d'une statue africaine. Elle a quelque chose de très sculpturale.
L'artiste a éclairé le modèle successivement à la lampe torche sur certaines parties du corps. Il a commencé par balayer avec la lampe juste les jambes. Puis le modèle a tourné, et il a éclairé juste les cuisses et le bassin. La femme a de nouveau tourné, le photographe éclairant la nuque et les épaules. Toutes ces postures s'étant imprimées sur la même pellicule, on a l'impression que le corps est vrillé.

Nous nous sommes alors déplacés vers une nouvelle salle. Pour nous présenter le prochain tableau, Claude nous a rappelé que les images au départ, dans la tradition chrétienne, étaient les icônes. La première icône dans la tradition chrétienne, c'est le voile de Véronique.
Véronique, avec son voile, éponge le visage du christ. Et sur ce linge, apparaît la face du Christ, isolée du corps, comme flottante. Le tableau que nous a présenté Claude est celui d’une petite robe noire.
Elle aussi semble flotter sur la toile. Elle paraît très sage, cette petite robe. Mais on s'aperçoit que le bas de la robe a été fait avec les doigts. Il y a là une charge physique et sensuelle. Claude se réfère alors au cartel pour constater que l'œuvre s'intitule "bella cuello mio", "mon beau cœur". Or quand on regarde la petite robe au niveau du cœur, on constate qu'il y a un trou.
Claude a fait un parallèle avec la chanson de Juliette, "la petite robe noire dans le placard", qui évoque les violences conjugales. En effet, ce petit trou dans la robe au niveau du cœur laisse la porte ouverte à toutes les hypothèses, laissant penser qu'il y a une histoire.

Nous avons poursuivi par Zoran Music, un peintre qui pendant plusieurs décennies a peint une série intitulée "nous ne sommes pas les derniers". Il a été, pour des raisons politiques, enfermé dans un camp de concentration. Il va témoigner, plus de 15 ans après son retour, sur les charniers qu'il avait pu voir pendant ses années de camps. Il fait donc une peinture de témoignage. Le tableau que nous a présenté Claude est un double portrait juste esquissé. Il est réalisé directement à la peinture, avec des jus. On voit très nettement, par transparence la toile. Et il y a même des parties qui ne sont pas peintes, où on voit la toile, en lin beige. On voit 2 silhouettes: à droite, la femme, Ida, l'épouse du peintre. On la reconnaît à sa masse de cheveux orange sur la tête. Elle est assise, plus basse que son mari qui semble debout. Il surgit d'un fond sombre. En fait les silhouettes de ces deux personnages sont dans le noir. Le noir s'évanoui en s'éloignant des silhouettes. Mais les 2 corps sont appuyés par du blanc: les mains, le visage, les yeux. A gauche, la silhouette du peintre a les mains jointes. Ida elle aussi a les mains jointes sur les genoux. Pour Claude, cette image rappelle le couple qui apparaît sur le fond du tableau des Ménines. C'est un tableau au fond de la pièce qui représente le roi et la reine d'Espagne. Or à cette époque on ne représente pas ensemble le roi et la reine.

Notre exploration du corps s’est poursuivie par une série d'un peintre espagnol, José Maria Sicilia. C'est une œuvre qui ressemble à un herbier. Ce sont des fleurs, exposées sur la dentelle. Il a utilisé deux procédés: d’abord l'empreinte, le peintre ayant encré la dentelle et l’ayant posée sur le papier, puis la lithographie de fleur par-dessus la dentelle. Mais l’artiste a donné un étrange titre à sa toile. Il l'a intitulée "Orifice". Il est vrai que la fleur est l'organe sexuel de la plante. Et en fait, en regardant à nouveau les fleurs, on peut y voir des sexes.

Claude nous a ensuite décrit l’œuvre d’un artiste Anglais, John Coplans. Il s’agit d’une grande photographie au sujet surdimensionné.
Elle représente deux mains jointes très serrées, un poing dans l'autre.
Ce sont les mains d'un homme manifestement âgé. On peut voir les ongles jaunis, striés, des taches sur la peau, les poils des bras qui descendent jusque sur le poignet. L'artiste met en scène les parties de son corps, mais jamais la tête.

Nous avons également découvert une installation d’un Espagnol, Jaume Plensa. C'est un polyptique en quatre parties, avec un fond rouge vermillon. Sur chaque panneau, des lettres en relief. Ce lettrage a un sens: le premier signifie le sperme, le deuxième les larmes, le troisième le sang, et le dernier la salive.
Le premier panneau, représentant le sperme, c'est une photo, avec une loupe posée dessus. A travers, on voit la tête d'un enfant.
La deuxième image, pour les larmes, est celle d'un cochon égorgé.
Sur l'image associée au sang, on voit un pigeonnier.
Enfin, pour la salive, c'est une image de barrière avec des avertissements écrits en Arabe, en Hébreu et en Anglais qui interdisent le passage comme si c'était très dangereux.

Pour terminer la visite, Claude nous a emmenés à la découverte de croquis d’Yvonne Guégan. En 1981, elle avait une de ses amies internée au Bon-Sauveur. Chaque jour elle venait lui rendre visite et elle faisait des croquis des malades. Elle a ainsi dessiné la sidération à travers une femme debout, complètement bloquée, hébétée, les yeux exorbitée, très raide, les cheveux, les bras et les épaules qui tombent, les poings serrés.
Le deuxième personnage est une femme assise, tassée dans sa chaise, qui agite les bras, les mains en l'air.
Une troisième femme est représentée debout, de profile, très maigre, aux os saillants, formant des angles aigus, les bras sur le côté, qui évoque l'agressivité.
La dernière est debout, en train de marcher, complètement fermée, recroquevillée, voûtée, les bras croisés sur sa poitrine.
Yvonne Guégan a ainsi traduit tout un vocabulaire de souffrance à travers les gestes de ces femmes.

Pour conclure, Claude nous a annoncé la prochaine visite descriptive autour de l'exposition sur Lambert Sustris. Rendez-vous a été pris pour le 13 janvier.

Rédigé par Emmanuelle Gousset, le 3 janvier 2018.

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