Compte-rendu de la visite descriptive au musée des Beaux Arts de Caen du samedi 12 octobre 2013

Pour la cinquième année consécutive, le musée des Beaux-Arts de Caen, en collaboration avec l'association Cécitix, organise une série de visites descriptives d'œuvres de ses collections ou présentées à l'occasion d'expositions temporaires. Ces rencontres permettent aux visiteurs déficients visuels d'appréhender une création (peinture, sculpture, installation, etc.) par la voix d'une conférencière qui non seulement la décrit, mais aussi l'explique.

La première rencontre de ce nouveau cycle a eu lieu le samedi 12 octobre pour la présentation du tableau de Philippe de Champaigne « le Christ et la Samaritaine ».
La présence de nombreux participants à cette visite, tant aveugles, malvoyants que bien voyants, démontre tout l'intérêt de ce type de manifestation pour tous les publics.

Ce samedi matin, c'est Pascale FISZLEWICZ qui nous accueille dans le hall d'entrée. Après nous avoir fourni des casques audio, elle nous guide vers la salle consacrée à la peinture française du dix-septième siècle. En arrivant dans cette grande salle, elle nous la décrit afin que nous nous fassions une représentation de la pièce. Les murs sont à dominance rouge sous un éclairage unilatéral. Deux ouvrages sur le musée sont disposés sur des tables basses en verre. L'ameublement est complété par de petits canapés disposés de part et d'autre, dos aux oeuvres.

Le tableau de Philippe de Champaigne (1602-1674) choisi pour cette description se trouve face à l'entrée. Il est entouré de nombreuses peintures françaises du dix-septième siècle dont notamment une grande toile de Charles Lebrun placée au centre de ce mur.

Les organisateurs de cette visite ont retenu notre souhait de pouvoir suivre la description sur un support tactile. On nous a donc distribué ce document lorsque nous nous sommes installés.

Notre conférencière a commencé par nous expliquer le contexte pictural de cette époque. C'est le concile de Trente, au seizième siècle, qui a redéfini la place de l'image pieuse dans les monuments religieux. Celle-ci avait été fortement contestée par les protestant qui refusaient la représentation graphique des personnages bibliques. Par la suite, les catholiques prendront le parti inverse en redéfinissant la place des images en les faisant plus proches du texte, plus explicites et donc plus efficaces pour convaincre les foules. De ce fait, toute représentation de l'art maniériste du seizième siècle a disparu pour ne laisser que l'essentiel : le message religieux.

Philippe de Champaigne fait partie de cette école de peintres du mouvement classique qui expriment avec talent la représentation des écrits bibliques sous forme illustrative.

L'artiste est né à Bruxelles mais il fit sa carrière dans le royaume de France où il fut naturalisé. Il a exécuté des peintures pour Marie de Médicis, le roi Louis XIII et Anne d'Autriche ; il est reconnu comme l'un des grands peintres classiques français.

L'œuvre décrite, « Le Christ et la Samaritaine », a été réalisée pour l'église Port-Royal de Paris. Le sujet de cette toile est une représentation des bienfaits de la religion à travers une scène illustrant la conversion par le Christ d'une Samaritaine, habitante de la ville de Samarie en Palestine.

Pascale FISZLEWICZ poursuit par la description du tableau. Elle nous indique en premier lieu sa forme peu commune. Si la toile est présentée dans un cadre carré, elle a la forme d'un rond, appelé Tondo, d'environ un mètre de diamètre. Cette présentation met en valeur les figures ainsi que les formes adoucies par la courbure des lignes. L'ensemble du tableau a une grande fluidité et une très grande grâce.
Philippe de Champaigne a emprunté cette technique à une composition de Raphaël, « la vierge à l'enfant ».

Au premier plan se trouvent les deux personnages, le Christ à gauche, et la Samaritaine à droite. Jésus est venu en Samarie pour convertir les habitants de cette région. Après avoir envoyé ses apôtres à la ville pour chercher de la nourriture, il se rend auprès du puit où la Samaritaine est venue chercher de l'eau. Le Christ explique à la jeune femme que l'eau qui est dans le puit satisfera sa soif physique mais que, lui, satisfera sa soif spirituelle en lui montrant l'existence de Dieu.

Le message religieux que veut faire passer l'artiste s'exprime par un dialogue muet et instantané. C'est l'expression des personnages et la symbolique utilisée qui nous transmettent le discours échangé entre Jésus et la Samaritaine.

Deux gestes sont primordiaux dans ce message. Tout d'abord, le Christ, assis, tend son bras gauche, la main vers le puit, tandis que son bras droit, accoudé sur une pierre, montre le ciel de son index. Cette posture forme une diagonale partant du doigt levé vers le ciel, en haut à gauche, vers l'autre main, plus au centre et plus bas.
Par ailleurs, la femme, debout, à peine plus grande que le Christ assis, est représentée de face. Mais son visage est de profil, complètement tourné vers Jésus. Son bras droit est plié, la main posée sur son cœur. Sa main gauche, en parallèle à celle du Christ, indique la terre, paume vers le bas. Elle est représentée en raccourci, donnant un superbe effet de perspective, car le spectateur a l'impression que la main sort du tableau.
Le geste de la Samaritaine exprime la stupeur et l'acceptation. On sent qu'elle a bien été convaincue par les paroles de Jésus.

Derrière le Christ, on aperçoit la grande roue et les pierres du puit de Jacob. A l'arrière plan, sont représentés quelques apôtres sur le chemin de Samarie. La ville, représentée notamment par ses tours et sa grande porte, apparaît encore plus loin sur une colline.

Le travail du peintre est remarquable. Il a représenté les deux principaux personnages en leur donnant une réelle beauté. Leurs corps évoquent des sculptures antiques. La Samaritaine est très jolie et bien proportionnée. Le Christ, quant à lui, est représenté comme un homme grand et musclé. On peut imaginer que, comme certains peintres l'ont fait, l'artiste a peint d'abord les corps nus puis les a habillés afin de mieux faire ressortir les courbes de leur anatomie.

Les couleurs de ce tableau sont assez sobres, car aucune couleur vive n'attire particulièrement l'œil. Elles sont toutefois assez soutenues. Le pied nu du Christ, par exemple, de couleur rose, est chaussé de sandales jaunes ornées de lanières bleu clair. Le drapé de son manteau est d'un très joli bleu lapiz lasuli. Toujours dans cette volonté de séduire l'œil, l'artiste a peint la tunique du Christ d'une couleur parme qui se marie à merveille au bleu du manteau. Elle est tenue par une ceinture d'un bleu gris du plus bel effet.
Le ciel au-dessus des personnages est d'un bleu ciel sans nuage.
La Samaritaine, pour sa part, est habillée d'un manteau de couleur jaune d'or très doux. Le drapé de ce manteau recouvre son bras gauche comme un rappel de celui du Christ. Son bras droit est découvert. Sa tunique, d'une couleur vert bleu, est ornée d'un nœud rose qui ne tombe pas à la verticale, mais semble voleter, indiquant que le peintre a saisi l'instant où elle pose sa main sur son cœur.
Son coude dénudé laisse apparaître le froufrou de sa chemise blanche qui tombe en remous. On peut penser que ces remous symbolisent ce que la Samaritaine ressent après avoir entendu les paroles troublantes du Christ.

Toute cette symbolique demande une grande réflexion à l'artiste pour faire passer le message qu'il veut exprimer. On pourrait rapprocher cette réflexion de celle que nos publicitaires mettent en œuvre pour nous convaincre de la qualité de leurs produits.

Une fois de plus nous avons pu apprécier la qualité de ces descriptions organisées à notre intention par le Musée des Beaux-Arts de Caen. Rendez-vous est pris pour la prochaine découverte, le samedi 7 décembre, à 11H, autour d'une œuvre de Jacques Pasquier.

Rédigé par Nicolas Fortin, le 20 octobre 2013.

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